Elle est belle ma cour d’école !
La cour d’école est un lieu commun, fréquenté depuis des générations par tous les enfants, plusieurs fois par jour et sur de longues années. La récréation, moment de vie découpé en tranches selon les horaires du système scolaire, fait partie du patrimoine enfantin parce qu’elle est un moment de transmission d’une culture enfantine. D’une génération à l’autre, les élèves y apprennent des jeux, mais aussi une manière d’être permettant leur intégration dans leur groupe de pairs.
Pourtant, que sait-on de la cour et du rôle qu’elle joue dans la vie quotidienne d’un enfant ? Bien qu’ordinaire, la cour est un lieu remarquable pour ce qu’elle propose aux enfants : un espace de relative autonomie dont ils disposent chaque jour d’école pour construire leurs relations, instaurer des habitudes de jeux, s’accorder sur des règles ludiques, mais aussi sociales. Elle apparaît comme le théâtre d’une microsociété.
La récréation est un des rares moments où les enfants sont laissés libres de mener leurs activités, dans les limites d’un espace, d’un temps et d’un règlement particuliers. Instant de détente et de défoulement dans la journée scolaire, ce moment est apprécié des élèves qui s’en saisissent pour l’alimenter de leurs jeux.
Alors que la classe est un espace contrôlé par l’enseignant, la cour est d’abord un lieu habité par les élèves. Les maîtres en ont une vision globale, mais n’ont pas besoin de se l’approprier. Au contraire, les enfants vont se familiariser avec chacun de ses recoins et installer leur camp de prédilection dans l’un d’eux. Chacun a en mémoire une ou plusieurs cours de son enfance et les espaces qu’il investissait pour tel jeu.
Les plus jeunes doivent surtout apprendre quels sont les lieux déjà occupés par leurs aînés qu’ils ne pourront investir que quand les grands auront quitté l’école. Ainsi, quand ils sortent dans la cour quelques minutes avant eux, ils s’empressent de leur dérober un peu de temps dans ces espaces prisés. Un groupe qui s’installerait pour jouer aux billes à l’emplacement traditionnellement occupé par les footballeurs s’en trouverait vite délogé, de même qu’une bande de « copines » ne s’aventurerait pas sur le territoire conquis par des garçons, à moins de vouloir les provoquer. Et les nouveaux arrivants doivent apprendre rapidement la logique sociale du découpage de la cour pour y trouver leur place à leur tour. Les enseignants parlent de la cour en termes de surveillance, signalant la difficulté à voir ce qui se passe dans tel renfoncement, remarquant les comportements turbulents qui se développent quand il manque d’aménagement ludique et redoutant les violences et les accidents. Les institutrices y déplorent un manque d’aménagement approprié poussant leurs élèves à passer leur temps, selon leur description, à faire des trous dans l’herbe et se disputer.
Pour les enfants, la cour est donc constituée d’un ensemble d’espaces à conquérir et s’ils apprécient les grands espaces dégagés pour courir, ils sont aussi à la recherche de coins plus intimes, à l’abri du regard des institutrices et de leurs pairs, à l’écart du brouhaha. À la maternelle, j’ai souvent constaté qu’ils jouaient à des jeux de fiction qui nécessitent un calme et un isolement permettant la construction d’une histoire sans être dérangés. L’isolement du lieu était aussi propice à des histoires secrètes ou inquiétantes.
L’observation et l’écoute d’élèves en cour de récréation donnent un point de vue rarement entendu sur cet espace qui devrait pouvoir être pris en compte. Les critères de surveillance, de sécurité et d’hygiène ne peuvent être les seuls qui motivent l’aménagement de l’espace.
Un peu chaotique la première année de maternelle, les jeux collectifs prennent forme peu à peu, les plus jeunes puisant chez leurs aînés leur source d’inspiration. Peu à peu, ils s’approprient les jeux de générations d’enfants : jeux de chat et autres formes de poursuite, jeux de bagarre inspirés des héros du moment, jeux de fiction tels que celui, indémodable, de papa, maman et bébé.
Les jeux qui s’inspirent des séries télévisées mettent en scène les héros du moment. Par ces pratiques communes, les enfants apprennent à inventer une histoire et à entrer dans un même imaginaire. Par d’autres jeux, ils développent une habileté et une compétence technique, apprenant à manier la corde à sauter ou à maîtriser le lancé de billes. L’intérêt du jeu de billes ne réside pas dans un simple geste d’adresse, mais « dans ce que l’on peut nommer sans cuistrerie un système de pensée dont le jeu lui-même n’est que le support ».
Les élèves participent à la transmission d’un patrimoine oral en utilisant les formulettes qui accompagnent le :
«Plouf-plouf, ça sera toi qui … ». Souvent il fallait procéder au choix du premier joueur ou d’équipes. Les enfants récitent une comptine d’élimination : «Amstramgram, pique et pique et colégram … ». Ou encore :
«Un petit cochon pendu au plafond … ».
La cour apparaît donc comme un lieu de première importance pour comprendre ce que les élèves vivent entre eux, puisqu’en son sein, ils y construisent leur identité culturelle, basée sur un patrimoine ludique commun à une génération. En jouant, les enfants découvrent la difficulté à faire ensemble, de se soumettre à des règles communes.
A contrario, les relations positives entre élèves permettent une complicité et une entraide, conduisent au développement d’une vie sociale qu’ils reçoivent des adultes telles que la solidarité ou la capacité à prendre en compte le point de vue de l’autre, à s’organiser à plusieurs en se distribuant les tâches.
En présentant la vie quotidienne dans une cour de récréation, j’ai voulu insister sur l’importance de ce lieu dans la socialisation des enfants. J’ai cherché à comprendre comment les enfants saisissent l’opportunité des récréations pour s’organiser entre eux et s’approprier certaines valeurs sociales. La cour est donc bien plus qu’un lieu de défoulement.
Selon des études scientifiques, l’espace et l’environnement d’apprentissage sont aussi importants que le contenu enseigné. La qualité de l’environnement, un bel espace aménagé jouerait sur la créativité et serait ainsi un des éléments essentiels de l’école idéale.
Josyane COMTE